Lollipop ~ Chapitre 1
Une nouvelle saison
Matt
January, 11 th ~ Houston, MW Cars Racing Team
J’éteins mon réveil et me lève rapidement, un large sourire sur le visage. Une nouvelle saison commence aujourd’hui et, maintenant que j’ai fini mes études et assuré mes arrières, mon père m’autorise enfin à prendre ma place au sein de l’écurie familiale, que je compte bien défendre comme il se doit sur les circuits.
Je descends dans la cuisine et tombe nez à nez avec une jeune fille, plutôt jolie soit dit en passant, en culotte et dans le tee‑shirt de mon cousin.
— Salut !
— Salut ! Tu saurais me dire où je peux trouver un verre ? me demande‑t‑elle, en me montrant la bouteille de jus de fruits qu’elle vient de sortir du réfrigérateur.
— Ouais, je te donne ça…
— Antho n’est pas du matin, je crois, tente‑t‑elle pour me faire la conversation.
Je secoue la tête tout en allant lui chercher son verre. Je le lui tends et elle reprend :
— Merci… Toi non plus, tu n’es pas du matin on dirait !
Je souris à sa remarque puis lui tourne le dos pour aller préparer mon omelette.
Désolé, ma grande, ce n’est pas contre toi, mais étant donné la vitesse à laquelle se succèdent les filles dans la chambre de mon cousin, je n’ai pas envie de faire connaissance plus que ça…
Je l’entends souffler, puis repartir vers les chambres sans un mot de plus. Mission accomplie.
Une fois seul dans la cuisine, je m’installe autour de l’îlot et avale mes œufs, avant de passer rapidement par la salle de bain puis de prendre la route.
J’arrive devant le circuit et me gare près de la voiture de Will, l’ingénieur mécanique de notre team. Comme moi, il aime arriver tôt dans les ateliers. Je crois que je l’ai toujours connu ici. Cela fait des années qu’il travaille pour mon père. Ils sont même devenus meilleurs amis au fil du temps, et Will est comme un oncle pour moi.
En entrant, je suis amusé d’entendre, à la place de sa traditionnelle musique country, du Whitney Houston sortir de son baffle Bluetooth. Je décide de le charrier un peu en m’approchant de la voiture qu’il bricole.
— Salut, Will ! Tu as encore trouvé le moyen de faire une mauvaise manipulation avec ta playlist ?
Je m’immobilise net lorsqu’une silhouette, qui n’est pas du tout celle que j’attendais, sort de dessous le capot.
— Salut. Oncle Will n’est pas là, il a dû partir en réunion avec le grand patron, si j’ai bien compris.
— Oncle Will ? répété-je comme un con, la bouche ouverte, complètement ensorcelé par la beauté qui me fait face.
— Ha ! Je vois que vous avez fait connaissance ! me fait sursauter le chef mécanicien qui arrive dans la pièce.
Je ne parviens pas à quitter la fille des yeux, quand je sens que Will me tapote dans le dos.
— Tu feras connaissance avec Mila, plus tard, mon grand. Ton père m’a demandé de te dire qu’il t’attend dans son bureau.
Mila… Putain, même son prénom me captive.
Will me sort cependant de ma rêverie, alors que la belle qui me fait face semble gênée par mon comportement. Quel con, je suis ! Je viens sans doute de me griller toutes mes cartes avec elle, en agissant comme un ado prépubère !
— Matt ! Tu vas bien, mon grand ? Tu es bizarre ?
Vas-y, Will, ridiculise-moi encore plus !
Je me tourne vers l’homme, fronce légèrement les sourcils et secoue la tête pour reprendre contenance.
— Euh… Ouais, désolé. Je pensais à autre chose.
Will m’adresse un regard amusé, pas dupe du tout, mais il a la sagesse de ne pas renchérir une nouvelle fois, Dieu merci ! Il se contente de me pousser par l’épaule en m’indiquant :
— Va voir ton père, fiston. Et ne lui en veux pas trop, ces charognards ne lui ont vraiment pas laissé le choix !
Cette fois-ci, je suis complètement sorti de ma rêverie. Je penche la tête sur mon épaule et interroge mon ami.
— Qu’est-ce que tu entends par là ?
— Stephane te dira, ajoute‑t‑il simplement, avec un regard entre la déception et la tristesse.
Planté une nouvelle fois sur place par ce que vient de me dire Will, je suis immobile quand j’entends un petit rire mutin. Je redresse la tête vers la source sonore et croise les yeux verts magnifiques de Mila. Will quant à lui part d’un rire franc et insiste :
— Matt, je ne sais pas ce que t’as pris ce matin, mais si t’as besoin de mon pied aux fesses pour sortir de cet atelier, je peux te le mettre !
Je tourne alors les talons et prends la sortie, en direction du bureau du grand patron. Je frappe à la porte et attends que mon père m’indique d’entrer. J’ai beau être son fils, ici, j’essaie de tout faire pour être un membre lambda de la team. Je ne tolérerai pas qu’on dise de moi que ma place, je la dois uniquement au fait d’être le fils du grand chef. Je pense sincèrement avoir montré ce que je vaux et que la place de pilote principal qu’on me donne cette année est due à mon talent, et pas à mes relations familiales.
— Entre !
J’obéis et arrive dans son bureau où Erin, la team manager, est déjà installée.
— Salut p’pa. Bonjour, Erin.
— Bonjour, Matt.
— Installe-toi, fiston. Il y a un truc dont on doit te parler, avant la conférence de presse.
Le ton qu’emploie mon père et la présence d’Erin ne m’indiquent rien qui vaille. J’avance vers le bureau, tire une chaise et m’installe dessus, prêt à écouter la sentence qui m’attend et qui, je pense, risque de ne pas me plaire. Je regarde mon père qui semble mal à l’aise, vraiment mal à l’aise. Il n’arrive même pas à prendre la parole, c’est donc Erin qui commence.
— On a rencontré les sponsors, hier.
Je lève un sourcil interrogateur vers elle. Ça se précise, même si, à ce stade, je me questionne encore sur la raison de cette discussion.
— Et ?
Erin regarde mon père, qui secoue la tête. Il n’est pas d’accord avec leur décision. Je suis de plus en plus mal à l’aise.
— Et ils souhaitent qu’Anth reste pilote principal, au moins cette année encore.
Je me lève d’un bond.
— Tu es sérieuse, là ?
— Matt ! intervient mon père.
— Non, papa. Tu sais très bien que ça a toujours été prévu comme ça. On était tous d’accord !
— On n’a pas le choix, Matt ! Ce sont ces gens qui financent l’équipe ! ajoute Erin.
— Ils sont au courant qu’avec moi derrière le volant, on a plus de chance de remporter le championnat ? Qu’Anth a toujours fait ça pour sauver l’équipe, mais qu’il préférerait être dans les stands ? Depuis cinq ans qu’il est là, on n’a pas fini une seule fois en pôle position ! Alors que moi, je déchire tous les chronos !
Erin regarde mon père, qui reprend calmement.
— Matt. Assieds-toi, s’il te plaît.
J’obtempère malgré moi et mon père ajoute :
— Je sais tout ce que tu dis, fils. Je sais aussi, tout comme Erin et même Anthony, que tu es le mieux placé pour gagner. Mais les sponsors refusent de voir un pilote sorti de nulle part prendre la place de pilote principal. Ils veulent une tête connue, pour leur image, c’est mieux.
— De nulle part ? Tu es sérieux, p’pa, là ?
— Tu sais ce que je veux dire.
— Non, je ne comprends pas ! m’offusqué-je.
— Fais tes preuves cette année, en tant que second pilote. Et tu auras ta place de pilote principal l’an prochain, Matt, je t’en fais la promesse. Mais pour cette année, on n’a vraiment pas le choix.
J’en ai assez entendu comme ça pour aujourd’hui ! Je me lève et vais pour sortir du bureau quand mon père ajoute dans mon dos :
— Matt ! Tu as tout intérêt à faire profil bas. Crois-moi, ce n’est pas de gaieté de cœur que je fais ça. Cette écurie… c’est toute ma vie ! J’ai toujours voulu voir l’un de mes fils me succéder derrière ce volant. Et c’est aussi ce que ta mère aurait voulu. Pour ton frère, ce n’est plus possible. Mais pour toi… C’est juste un an, Matt ! S’il te plaît. Je sais que tu comprends au fond de toi.
Je déglutis. Pour moi aussi, cette écurie, c’est toute ma vie. Elle est dans la famille de ma mère depuis plusieurs générations et j’ai toujours souhaité la faire prospérer davantage encore en la représentant sur les circuits. J’attends depuis si longtemps… Qu’est‑ce que c’est, finalement, un an de plus ? Et puis, je piloterais quand même, non ?
— OK, p’pa. Mais je te promets une chose…
Je me retourne pour lui faire face et vois mon père me fixer avec amour quand j’ajoute :
— Dans un an, si mon image et mon talent ne leur suffisent toujours pas, je changerai d’écurie. Ce n’est pas contre toi, mais parce que pour moi, piloter et gagner, c’est toute ma vie. J’adorerais le faire ici, dans cette écurie familiale. Pour toi. Pour la mémoire de maman. Mais s’ils m’en empêchent encore, je partirai, p’pa.
— Je comprends, fils. Merci.