Après l’orage ~ Chapitre 1

Kimberley

– Au revoir maman, à demain ! 

Victoria embrasse sa mère puis se remet à manger. Mon amie lui rend son câlin et lui fait, comme à son habitude, une dernière recommandation. 

– À demain ma choupinette d’amour. Tu es sage avec tata Kim, hein !? Je te fais confiance.

La blondinette lève ses jolis yeux bleus en souriant. Je l’observe avec tendresse. Cette fillette est aussi blonde que sa mère est brune. Léna a raison quand elle me dit que sa fille est le portrait craché de son père. Sa ressemblance avec Marc est plus que frappante. Impossible de nier le lien de parenté ! 

J’attrape Léna par le bras et l’accompagne jusqu’à la porte. Autant éviter de faire durer la séparation entre ces deux-là ! Victoria a parfois un peu de mal à voir sa maman partir le soir. 

En ce moment, c’est un peu le coup de feu à l’hôpital. Plusieurs collègues de Léna sont en arrêt et, par conséquent, mon amie doit faire beaucoup plus de gardes qu’à l’accoutumée. En général, elle ne travaille que de jour pour préserver sa vie familiale mais depuis plusieurs semaines, elle n’a pas eu le choix. Chaque infirmière doit accepter des gardes de nuit ; qu’elle soit mère célibataire ne lui donne pas de passe-droit.

Alors, quelques soirs par semaine – comme aujourd’hui, je joue à la baby-sitter. Mais j’adore tant cette gamine que ça ne me gêne pas le moins du monde, bien au contraire. Nous passons de très bons moments ensemble et ça lui permet de me raconter un peu sa vie et les petits secrets qu’elle ne peut révéler à sa maman. 

– Mais oui, fiche-lui la paix un peu à cette petite ! Tu sais très bien qu’elle est toujours adorable quand je la garde. En plus, ce soir, il y a Kam qui passe à la télévision, alors ne t’en fais surtout pas. Un saladier de pop corn, le droit de danser et chanter à tue-tête, il n’y a pas plus simple pour la rendre heureuse ! 

– Qui c’est encore celui là ? me demande-t-elle.

– Qui ça ? Kam ? Ne me dis pas que tu ne connais pas le chanteur préféré de ta fille !

Devant son air perplexe, j’insiste. 

– Léna, il faut absolument que tu fasses plus attention à ce qu’aime ta fille. Je te signale que bientôt ce sera une ado, et si tu ne la suis pas un minimum, tu vas être vite larguée ! 

– Ho, ça va, me rétorque-t-elle, elle n’a que cinq ans ! Elle ne va pas être ado demain non plus. Elle va encore changer d’idole au minimum dix fois d’ici là !

– Oui, et bien, tu devrais te méfier quand même ! Les gamins grandissent super vite et ça arrivera bien plus tôt que tu ne le penses… 

– Oui, mais je te le répète, elle n’a que cinq ans! C’est d’ailleurs pour ça que tu vas regarder ce Kam avec elle, puisqu’à priori vous avez déjà programmé votre soirée, mais ensuite c’est dodo ! 

– Oui maman, je te promets que je ne la coucherai pas trop tard. J’ai une audition demain je te rappelle, donc j’ai besoin de me reposer aussi. Alors ne t’en fais pas, on devrait aller dormir tôt ! 

– Ha oui, c’est vrai, j’avais oublié ça ! Je ne sais plus où donner de la tête ces derniers temps, je suis désolée. Tu aurais dû m’en parler pendant le repas, c’est malin. 

– Je t’expliquerai tout ça demain matin avant de partir, mais tu sais c’est une audition comme une autre. Tu danses, on te dit oui ou non.  Et merci, au revoir !

– Non, je sais que tu m’avais dit que celle-ci était particulière, mais tu n’avais pas voulu me dire pourquoi. Tu as attisé ma curiosité. Il faudra vraiment que tu me racontes. 

– C’est promis, mais là tu vas être très en retard si tu ne pars pas vite. Alors, maintenant, file et sois prudente sur la route. 

En entendant mes propos, elle me jette un regard agacé et triste à la fois. Je comprends de suite que j’ai gaffé. Léna est plus qu’attentive sur la route ; parfois trop même – si bien que ça tourne à l’obsession. Et s’il y a une chose qu’elle déteste plus que tout, c’est qu’on lui dise “sois prudente sur la route”. Elle est persuadée que cette phrase est une malédiction. Elle déteste l’entendre avant de prendre le volant. 

Je lui fais ma petite moue d’excuses, et je la prends dans mes bras pour lui faire un câlin.

Je la relâche et, comme des gamines, on se fait notre “amies pour la vie”. On se tend nos petits doigts et on les ferme, entrelacés comme les maillons d’une chaîne incassable. Je sais qu’elle ne m’en veut déjà plus. 

Cette fille et moi sommes amies depuis la 3ème. J’étais arrivée au collège en fin de premier trimestre, suite à une énième mutation de mes parents. Ce n’est jamais facile de s’intégrer dans un nouvel établissement, mais Léna est très vite venue vers moi. Elle était déléguée de classe et prenait son rôle à cœur. Pour elle, tous les élèves devaient se sentir bien au collège. Et ça commençait pour moi par un accueil chaleureux, avec visite des locaux et présentation à sa bande de copains. Je l’ai tout de suite trouvée sympathique, et nous sommes très vite devenues amies. 

Ce n’est qu’un peu plus tard que nous sommes devenues inséparables. Elle était amoureuse de Marc et cherchait souvent des excuses pour le retrouver le soir après la classe. Moi, j’aimais la danse mais ma mère ne voulait pas que j’y aille. Elle ne pouvait pas me récupérer après les cours, elle était souvent coincée par des opérations à la base militaire, et refusait que je rentre seule. Du coup, nous avions monté un canular. Elle faisait semblant d’aller à la danse et retrouvait Marc en cachette et moi, je la couvrais auprès de ses parents. Cela me permettait de rentrer avec elle après les cours. Nous y trouvions toutes les deux notre compte.

Notre secret a duré un certain temps, jusqu’à ce que la prof de danse ait appelé Monique, la mère de Léna, pour lui demander pourquoi elle était si souvent absente. Nous avons alors dévoilé le pot aux roses et avons subi une sévère punition. Le seul côté positif de toute cette histoire, c’était que Mme Swan avait trouvé que j’avais un réel potentiel. Elle a donc proposé à mes parents de me ramener elle-même après les cours pour que je puisse continuer mon activité extra-scolaire. Je ne la remercierais jamais assez, c’est grâce à elle que je peux vivre de ma passion aujourd’hui.

Enfin, vivre… Vivoter plutôt. J’enchaîne comme je le peux des petits contrats pour gagner des clopinettes. Mais, comme me dit Léna, vivre de sa passion, ça n’a pas de prix ! Elle a toujours été d’un naturel optimiste, heureusement pour elle. Quand d’autres voient le verre à moitié vide, elle le voit toujours à moitié plein et fait tout ce qui est en son pouvoir pour le remplir jusqu’à le faire déborder. 

J’adore cette fille ! Alors quand je gaffe comme ce soir, je m’en veux vraiment. 

Je referme la porte derrière elle et retourne à la cuisine voir ma petite tornade. 

Une fois son repas terminé, nous débarrassons la table. Puis Victoria amène le saladier dans lequel elle a vidé le sachet de pop corn pendant que j’allume la télévision. Nous nous installons confortablement dans le canapé pour regarder l’émission tant attendue. 

Après avoir écouté quelques chanteurs sans grand intérêt, dès que Kam arrive sur le plateau, il met le feu dans le salon ! La petite Victoria ne tient plus en place. Elle se met à danser et chanter. Je me lève et fais comme elle. Nous nous amusons comme des folles et ne nous arrêtons que lorsque le générique sonne la fin du programme. 

Quand vient l’heure du coucher, la petite ne négocie pas, même si il n’y a pas classe demain : elle est épuisée. Je l’aide à passer son pyjama et à se laver les dents, puis je lui lis une histoire et la regarde s’endormir. 

A la lueur de la veilleuse, je prends le temps de l’observer. Léna a raison, elle ressemble énormément à son père. Je sais que mon amie pense toujours à lui, qu’elle pleure encore son absence quelques fois. J’espère qu’un jour elle pourra enfin aller de l’avant, mettre son passé dans un coin de sa mémoire et s’autoriser à nouveau à tomber amoureuse. Elle le mérite, plus que quiconque. 

Je me lève doucement pour ne pas réveiller Victoria et pars me coucher. 

Allongée dans le lit de la chambre d’amis, je pense au casting du lendemain. Ce contrat-là paraît plus sérieux que ceux auxquels je postule d’habitude. Il est précisé qu’il durera plusieurs semaines, avec une tournée à la clé. 

Financièrement, ce contrat serait une aubaine. Je n’en ai pas encore parlé à Léna, mais j’ai plusieurs mois de retard sur mon loyer et je vais me retrouver à la porte si je n’obtiens pas un job stable très vite. 

Je m’endors donc en espérant très fort être la prochaine danseuse star de Kam. J’ai un sourire aux lèvres quand je pense que cela réjouirait aussi ma petite tornade…

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